« Notre cœur de métier est l’acceptabilité sociale de l’événement sportif afin d’éviter que celui-ci soit un objet étranger au territoire, réservé à des détenteurs de billets avec hospitalité qui seraient vus comme des nantis, excluant ainsi la population locale », déclare à News tank Antoine Chines, inspecteur général chargé d’une mission de transformation de Territoires d’Évènements Sportifs (TES), le 16/11/2021.
Fondée en 2012, Territoires d’Événements Sportifs (anciennement Club des Sites) est l’association qui regroupe à l’origine les 10 villes-hôtes de l’Euro 2016 de l’UEFA. Son objet principal est de défendre les intérêts des villes et métropoles dans les négociations avec les organisateurs d’événements sportifs internationaux. Relancé en janvier 2018 au moment de l’attribution de la Coupe du monde de rugby 2023, il comprend aujourd’hui deux collèges : un pour France 2023 et un autre pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
« Territoires d’Événements Sportifs a la particularité d’être un regroupement à la fois d’élus et également de directeurs en charge des grands événements dans les grandes villes et métropoles. Ce binôme est la clé de la bonne articulation entre orientations politiques et déclinaison opérationnelle. (…) Le rôle de l’association est de mutualiser l’expertise et les connaissances. Nous disposons à présent d’un réseau structuré », indique Antoine Chinès.
« Désormais, les organisateurs de grands événements ont eux-mêmes besoin de prendre en compte cette acceptabilité sociale et de se projeter en amont vers l’héritage, en faisant en sorte que l’événement permette de transformer concrètement le territoire et la vie des citoyens qui y vivent. S’il apporte quelque chose dans la pratique sportive des habitants, dans la transformation urbaine ou dans l’amélioration concrète de tel ou tel quartier ou de telle ou telle politique publique, alors il sera accepté », affirme Antoine Chinès, qui répond aux questions de News Tank.
Dans quel contexte a été créée l’association Territoires d’Événements Sportifs (TES) ?
TES a pris appui sur le Club des Sites, créé en 2012 pour l’organisation de l’Euro 2016 en France et relancé ensuite au moment de l’attribution de la Coupe du monde de rugby 2023.
En décembre 2020, après les élections municipales, les villes membres ont élu un nouveau bureau et un nouveau président Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis et président de Plaine Commune. Son projet a été de transformer profondément l’association du Club des Sites en élargissant son d’activité à l’ensemble des grands événements sportifs accueillis en France et notamment à la préparation des JOP de Paris 2024.
Territoires d’Événements Sportifs est une association qui a la particularité d’être un regroupement à la fois d’élus, mais également de directeurs en charge des grands événements dans les grandes villes et métropoles. Ce binôme est la clé de la bonne articulation entre orientations politiques et déclinaison opérationnelle.
Quelles sont aujourd’hui les villes membres de TES ?
Il y avait 10 villes organisatrices pour l’Euro 2016, et 10 également pour la Coupe du monde de rugby 2023 (les 10 mêmes villes, Lens en moins, Nantes en plus). Ces 10 dernières sont les membres fondateurs de l’association Territoires d’Événements Sportifs.
Il convient également de préciser que toutes les villes de France 2023 sont également des sites olympiques, à l’exception de Toulouse. Lille va accueillir le handball, Marseille du football et la voile, et toutes les autres (Nantes, Bordeaux, Lyon, Saint-Étienne et Nice) du football.
Nous avons ensuite élargi l’adhésion aux autres communes et métropoles, qui accueilleront des sites de compétition pour Paris 2024. Sont ainsi désormais membres : Saint-Quentin en Yvelines, Paris Terres d’Envol (intercommunalité autour du Bourget), Nanterre, Colombes ou La Courneuve. Les deux dernières vont adhérer au prochain conseil d’administration début 2022. Aujourd’hui 100 % des villes ou métropoles, sites hôtes de compétition pour Paris 2024, participent ainsi à notre dynamique collective.
De plus, nous accueillons également dès à présent des villes et métropoles qui accueillent des grands événements sportifs de manière récurrente avec un impact majeur pour le territoire. Citons l’exemple des Sables-d’Olonne avec le Vendée Globe qui fait rayonner la commune à l’échelle internationale.
Quel bilan tirez-vous de l’action du Club des Sites ?
Historiquement, le Club des Sites est un lobby des villes-hôtes vis-à-vis des organisateurs d’événements sportifs internationaux. Son objet principal est de défendre les intérêts des villes et métropoles dans les négociations avec ces organisateurs. Cela a très bien fonctionné pour l’Euro 2016 pour plusieurs raisons.
D’abord, nous avions comme président Alain Juppé, alors maire de Bordeaux, qui avait un poids politique permettant de peser dans les négociations. Nous avions également des moyens administratifs et de l’expertise de haut niveau avec toute l’équipe des villes construite à l’époque autour de Karim Herida, qui était la cheville ouvrière efficace de la coordination des villes. Enfin, il y avait des organisateurs (un partenaire, l’UEFA et la SAS Euro 2016), qui étaient ouverts au dialogue collectif avec les villes-hôtes.
Le Club a ainsi obtenu 39 M€ qui sont allés directement dans les caisses des villes et métropoles pour l’événement. 20 M€ pour l’héritage, à raison de 2 M€ par ville pour la construction ou la rénovation de terrains, 12 M€ pour la sécurité de l’événement dans un contexte post attentats extrêmement anxiogène et 7 M€ d’apport en nature pour les fan-zones.
Nous nous appuyons encore aujourd’hui sur ce bilan très positif en matière de négociation avec les organisateurs et l’État.
Comment s’est opérée la transition vers la Coupe du monde de rugby 2023 ?
Elle s’est faite tout à fait naturellement, car il s’agissait quasiment des mêmes acteurs locaux, lesquels avaient une habitude de travailler ensemble. De plus, il existe des fondamentaux qui sont toujours les mêmes en termes d’organisation d’événements : mise à disposition du stade, modèle économique de l’organisateur, billetterie, animations dans la ville, pavoisement, transports, sécurité, développement durable, etc. L’objectif de TES est de capitaliser dans la durée sur l’organisation d’événements dans les territoires.
Notre cœur de métier est l’acceptabilité sociale de l’événement afin d’éviter que celui-ci soit un objet étranger au territoire, réservé à des détenteurs de billets avec hospitalités qui seraient vus comme des nantis, excluant ainsi la population locale. Nous essayons de capitaliser sur cette expérience d’événement en événement.
Désormais, les organisateurs de grands événements ont eux-mêmes besoin de prendre en compte cette acceptabilité sociale et de se projeter en amont vers l’héritage en faisant en sorte que l’événement permette de transformer concrètement le territoire et la vie des citoyens qui y vivent. S’il apporte quelque chose dans la pratique sportive des habitants, dans la transformation urbaine ou dans l’amélioration concrète de tel ou tel quartier ou de telle ou telle politique publique, alors il sera accepté.
Comment s’opèrent les échanges entre villes-membres de TES ?
Le rôle de l’association est de mutualiser l’expertise et les connaissances. Nous disposons désormais d’un réseau structuré. Nous fonctionnons désormais par collège. Il y a un collège France 2023 et un collège Paris 2024. En début d’année, nous fixons les priorités de travail annuelles de l’association. Ce sont par exemple les « villages-rugby » (zones de célébration et de retransmission) en 2021 avec une étude collective produite sur ce concept que nous avons remis à l’organisateur.
Pour Paris 2024, nous nous sommes d’abord focalisés sur quelques fondamentaux : le « nouveau concept » des Jeux, la sécurité, la gestion du dernier kilomètre entre la station de métro et le stade, l’olympiade culturelle, l’héritage ou la stratégie de développement durable. Nous nous mettons d’accord sur les sujets puis l’expertise collective qui est apportée profite à tous nos membres qui ont des échanges permanents dans le cadre de ce réseau.
Rassembler la totalité de ces maires et présidents de métropoles sur des positions communes permet de créer une dynamique commune pour peser sur les négociations en faveur de nos territoires et de leurs habitants tout en obtenant des retombées concrètes en faveur des organisateurs d’événements.
Notre force provient de notre capacité à aller chercher des directeurs des sports ou d’événements dans chacune des villes et métropoles mais aussi si besoin dans toutes leurs directions métiers avec une expertise spécifique sur chaque sujet. Le réseau par le partage d’expertise constitue le cœur du fonctionnement.
Nous avons également accepté le principe d’avoir des partenaires privés qui nous apportent de l’expertise thématique qu’elle soit juridique, marketing, organisationnelle, etc. Il ne s’agit toutefois évidemment pas de faire de l’ambush marketing à l’encontre des partenaires des organisateurs d’événements. Les villes sont même pendant les événements en première ligne dans la protection des droits de l’organisateur.
Quels sont les grands projets d’héritage aujourd’hui en développement ?
Pour Paris 2024 avec la SOLIDEO et l’ensemble des différents maitres d’ouvrage, il est d’abord matériel quand on regarde les grues en action que ce soit au Village, au Centre Aquatique ou à la Porte de la Chapelle.
A terme, en héritage, je suis convaincu que le triangle Stade de France, Centre Aquatique, Porte de la Chapelle avec les nouvelles gares du Grand Paris Express offre de formidables synergies possibles en termes d’attractivité économique autour des industries de l’entertainment et du sport.
D’un point de vue immatériel, sur la Coupe du monde 2023, ce que fait le comité d’organisation sur les apprentis est absolument remarquable, que ce soit pour les territoires et pour les jeunes.
Concernant les « zones de célébration » qui seront montées autour d’un événement par nature éphémère, tout l’enjeu est de penser les choses de manière durable. Comment faire pour que l’argent public qui va être y investi ne le soit pas seulement pour un « one shot » festif ? On peut imaginer aménager les espaces sur lesquels seront érigés ces « villages » afin de favoriser la mobilité douce et donc leur accessibilité. On peut imaginer des bornes de recharge pour véhicules électriques, une amélioration du système d’alimentation en énergie pour éviter d’énormes groupes électrogènes, le développement du wifi qui perdurera après l’événement, etc. Penser l’héritage, même pour l’éphémère, fait partie de nos préoccupations.
Quand un organisateur d’événement se rend dans une ville, ce sont toujours les mêmes sujets qui sont évoqués : la mise à disposition de l’équipement, les conditions financières, le modèle économique de son événement et les retombées économiques ou touristiques pour le territoire. Une fois ces thèmes abordés, vient le « vrai » sujet : l’héritage concret pour les populations locales. Plus aucun événement n’est possible aujourd’hui sans que ce point ne soit traité. Il y a toujours un intérêt commun entre l’organisateur et le territoire à développer la pratique sportive pour en faire un héritage. Cela fait partie des retombées immatérielles dont peuvent se prévaloir les deux parties.
Quel est le principal objectif de TES ?
Il faut toujours garder en tête cette notion d’acceptabilité sociale des événements pour conserver la dynamique. Nous avons une chance incroyable en France, et peu de gens en ont conscience : nous sommes des leaders mondiaux en matière d’organisation d’événements sportifs.
L’État, les collectivités territoriales, le CNOSF et l’ensemble des Fédérations sportives, et le monde économique ont construit ensemble une filière d’excellence.
Il faut valoriser les emplois directs et indirects générés et les externalités positives qu’elles engendrent dans nos territoires. Le grand événement sportif, c’est également de l’image et de la dynamique positive pour une ville. Il peut créer des dynamiques locales absolument incroyables !
Nous sommes prêts à prendre notre part afin que celle-ci perdure après 2024. Attention à 2025 « post coïtum animal triste ». Les événements de 2025, 2026 ou 2030 se construisent aujourd’hui. Il n’y a plus depuis longtemps d’événement possible sans collectivité territoriale !
La France est justement candidate à l’organisation de la Coupe du monde de rugby à XIII en 2025…
Cela rentre complètement dans notre périmètre. Une de nos ambitions consiste à offrir de nouveaux services aux membres, notamment une mutualisation de la veille et de la prospection pour l’accueil d’événements sportifs futurs. Les organisateurs d’événements sportifs de demain, que ce soit une Fédération nationale ou internationale, peuvent s’adresser à nous pour entrer simultanément en contact avec les villes. Bien entendu pour des évènements multi-sites, mais aussi pour rechercher l’équipement ou le territoire le plus pertinent en fonction des enjeux de la candidature.
Nous avons donc rencontré le comité d’organisation de la Coupe du monde de rugby à XIII, que nous soutenons évidemment, en particulier dans leur approche de s’ouvrir aussi à des villes moyennes dans un souci de bonne adéquation avec les jauges attendues.
La France en général et Paris en particulier sont d’abord considérées comme des destinations culturelles plus que sportives. Est-ce aussi votre objectif que de changer cela ?
C’est tout l’enjeu de la nouvelle coordination du sport français à l’international qui a été mise en place il y a quelques jours par la ministre Roxana Maracineanu. TES est une des parties prenantes et nous souhaitons être un élément moteur de la dynamique collective.
Pour changer cette image à l’international, il faut travailler tous ensemble. France 2023 et Paris 2024 mettront un focus tel sur l’organisation par le pays d’événements sportifs qu’il faut bénéficier de cette dynamique pour engendrer d’autres succès.
Après, issu de la haute fonction publique, je suis lucide sur cette forme de mépris que le sport inspire parfois encore et il ne faut pas nier le fait que le sport n’a pas les mêmes lettres de noblesse que la culture pour les élites françaises.
Pourtant dans le contexte actuel, quel meilleur sujet que le sport pour rassembler et unifier une communauté nationale dans une dimension collective et festive ?